[Test] Shenmue III : un coup de pied dans l’eau

[Test] Shenmue III : un coup de pied dans l’eau
Shenmue III_20191126123702

Sans revenir sur l’aventure rocambolesque qu’a été le développement et surtout le financement de Shenmue III, il est tout de même important de garder à l’esprit que cet épisode vient apporter une réponse à la conclusion brutale du second opus. Une fin orpheline qui avait considérablement  frustré les fans. 18 ans après, Shenmue III vient donc apporter de l’eau à un moulin dont plus personne ne s’occupait avec une décontraction étonnante. Toujours en binôme avec la jeune Shenhua, Ryo Hazuki poursuit sa recherche de l’assassin de son père, mêlé de près ou de loin à une sombre affaire de miroirs ancestraux. Le jeune homme a emmené avec lui sa détermination et son sens des arts martiaux, mais également toute une époque, à savoir le début des années 2000. Le jeu développé par YS Net est en ce sens une photographie mouvante de cette période, où nombre de codes actuels du game design, nombre de gimmicks, n’existaient pas encore. De ce point de vue, Shenmue III est pur, jamais éraflé dans son écrin de 2001-2002, comme s’il était directement sorti sur une Dreamcast quasi morte-née. Son discours aux fans passe essentiellement par ce biais : retrouver les sensations d’antan pour enfin fermer une blessure. L’ironie étant que le jeu en ouvre bien d’autres.

Peur de dragon

Fournir la possibilité de goûter une dernière fois au design du début du siècle est une chose. Ne pas prendre en compte quasiment 20 ans d’évolution du jeu vidéo est un aveu d’échec. Shenmue III est une sorte d’organigramme de tout ce qu’il ne faut pas faire pour maintenir un joueur dans une partie. Il est possible de proposer une radicalité sans pour autant mettre de côté un certain confort de jeu, ou proposer des mécaniques engageantes : Death Stranding en est le meilleur exemple récent. Mais là où le jeu de Kojima Productions se sert de ce choix dans le rapport jeu/joueur pour structurer un gameplay et un game design, Shenmue III n’en fait rien. L’austérité lutte ici sans cesse contre le plaisir de l’expérience, alignant les lourdeurs dans des séquences lunaires. Reprenant l’aspect enquête de ses prédécesseurs, le titre réalisé par Yu Suzuki repose par définition sur la collecte d’informations et la recherche de pistes pour progresser dans la trame.

Shenmue III_20191121151018

L’interaction avec l’environnement et les PNJ devrait alors être un élément fondamental et se montrer le plus accessible possible. Shenmue III dit non, préférant remonter à pied, en contresens, l’autoroute de la logique. Que ce soit dans les phases de dialogue (interminables, mal écrites et où il est impossible de passer la moindre seconde) ou dans le fait d’être forcé d’effectuer 3 manipulations différentes pour ramasser une plante, voire même quatre pour fouiller dans un seul tiroir, le jeu rend la moindre action pénible. Problème qui pourrait être accepté par la force des choses au fil de l’aventure si tout ce qui gravite autour n’était pas, là aussi, raté.

Promo
Shenmue III Shenmue III
  • DEEP SILVER
  • Jeu vidéo
  • Allemand, Anglais, Espagnol, Français, Italien, Japonais
69,99 EUR −20,00 EUR 49,99 EUR
Vérifier le prix

Les problèmes dont il s’agit ici ne sont pas la conséquence de concepts vieillissants, ce qui peut avoir un certain charme dans une recherche d’“authenticité” mais de choix, mettant en équilibre chaque partie. Le joueur peut à tout moment se faire sortir du jeu par ces décisions, notamment en ce qui concerne les erreurs de mises en scène. Mis à part certains instants-clés, il semble n’y avoir aucune direction dans le placement des caméras, et pire, il arrive souvent qu’un dialogue entamé lors d’une promenade s’arrête brutalement sur un “cut to black” pour repartir ensuite sur un face-à-face fixe où les deux personnages se sont stoppés sans raison pour poursuivre la discussion.

Shenmue III_20191119195530

Rien n’est fluide, tout semble mécanique et rien ne justifie jamais les cadres choisis. Toujours dans le registre du grave manque de finition, la gestion des informations récoltées par Ryo fait naître malgré elle des trésors de comédie. Imaginez rencontrer une vieille moniale, dont le discours vibrant sur le père du héros amène un des rares moments pénétrés d’une sincère émotion. Cette scène terminée, remotivé dans la conduite de votre quête, vous vous adressez de nouveau à la femme âgée qui… ne reconnaît pas Ryo et lui présente le temple comme s’il venait de débarquer. Ce genre d’incohérence est presque systématique. Tout comme les soucis cognitifs du même Ryo qui acquiert parfois une réponse permettant de résoudre une mission, mais ne peut rien en faire tant que la bonne personne ne lui a pas donné – exactement – la même réponse. Une ensemble de lourdeurs et de situations absurdes qui n’ont qu’une issue, la prise de recul du joueur et donc la fin d’une immersion déjà mise à mal par les errances du game design.

L’ombre de Ryo

Pourtant, tout n’est pas aussi peu peaufiné ou cohérent dans Shenmue III et il arrive même parfois que le jeu puise dans son statut de série culte pour y dénicher quelques bribes du savoir-faire de Yu Suzuki. Il y a une science unique de la flânerie, évidente, permettant de laisser le temps s’écouler au rythme désiré, jamais pressé par une quête. Existent ces scènes de quelques minutes où la jolie relation entre Ryo et Shenhua opère, séparés tous deux de leurs carcans de timidité, prêts à s’avouer leurs sentiments et à entretenir un respect mutuel touchant. Surgissent ces conjonctions d’un thème musical, d’un panorama enchanteur, formant une saynète dans laquelle la sensibilité affleure. Et au milieu de tout cela, éclos le coeur du jeu, son système de combat qui, sans être d’une densité folle, permet de varier les approches et de faire de chaque affrontement un vrai duel prenant. Encore faut-il relativiser : les entraînements nécessaires à l’acquisition de techniques et/ou d’endurance se révèlent répétitifs et sans grand intérêt. Voilà justement le résumé de l’expérience Shenmue III, l’absence d’une envie. Il est possible d’y effectuer une myriade d’activités annexes, de découvrir des dizaines de petits secrets, de quêtes cachées, mais jamais le jeu ne donne de réelle récompense à ce temps pris pour les effectuer, jamais le jeu ne sait comment rendre tout cela attractif. Sans aller trop loin, il semble qu’en grattant le revêtement de cette glace sans tain, c’est en quelque sorte le désamour de Suzuki pour le jeu vidéo qui regarde le joueur se dépêtrer en vain.

 

Image

Pensée du jour :

Ce que l'homme a fait ,

l'homme peut le défaire.

 

"No secure path in the world"